ADJUGÉ 60 000€ !

Important astrolabe maghrébin,
probablement Maroc, milieu ou fin du Xe siècle de l’Hégire [XVIe siècle CE].
Laiton, D. 19.6cm.

L’araignée marque la position de vingt-trois étoiles avec leur noms (treize à l’intérieur de l’écliptique et onze à l’extérieur), par des index légèrement courbés ou en forme de crochets montés sur des bases ornées de pointes d’argent (manquent neuf) et d’une petite dent sur l’un ou l’autre côté.
Il y a quatre mudir (petites caboches pour tourner l’araignée) en laiton et un index de Capricorne (al-murî) avec ligne indicatrice centrale. L’endommagement ancien de l’araignée, dont témoignent deux index cassés, a conduit à remplacer le cercle de laiton autour du pôle de l’instrument et à re-graver les noms des signes de Capricorne, Aquarius et Pisces. Chaque signe zodiacal est divisé à trois degrés sur le rebord biseauté du cercle écliptique; la barre droite Est-Ouest est rompue.

Le limbe de l’instrument, fondu en une seule pièce avec le kursî (trône), est attaché au dos pour former la mère (mater) par treize rivets symétriquement placés.
L’échelle de 360°, divisée à un degré et numérotée par groupes de cinq degrés, est gravée sur le limbe.
Le kursî a quatre lobes de chaque côté de l’étrier et l’anneau avec sa chaîne ; ceux-ci ont été remplacés car l’étrier est percé pour porter une bélière. En-dessous de l’étrier il y a un enfoncement circulaire, à l’origine muni d’une aiguille aimantée dont la position du pivot est toujours visible, de même qu’une marque de déclinaison magnétique à approximativement 1° Ouest.

La mère ne porte aucune inscription.

Le dos est gravé des échelles suivantes (lisant de l’extérieur vers le centre) : -360 degrés par divisions d’un degré, numéroté par groupes de cinq dans les deux quadrants supérieurs, la lecture étant inversée de l’un à l’autre. L’échelle dans les deux quadrants
inférieurs n’est pas numérotée.
- Un calendrier zodiacal concentrique (0° Aries = 11 mars)
- Graphisme des sinus sexagésimal, sans division, mais avec les arcs pour les sinus, cosinus et l’obliquité de l’écliptique
- Un carré des ombres double. La division de l’échelle des carrés, assez maladroite est souvent incorrecte. Comme les quelques lignes correctement placées sont très usées, ainsi que les chiffres correspondants, nous pouvons penser que ceux incorrectement exécutés sont le résultat d’une mauvaise restauration.

Le dos du kursî est orné d’un décor de feuillages non-symétrique autour d’un ‘V’ au centre. Cette décoration n’est pas de la même facture que celle qui occupe le centre du carré des ombres, qui est géométrique et symétrique. Un dénivellement de cette partie centrale de l’astrolabe suggère qu’une inscription ou une décoration antérieure a été grattée et la surface recouverte de la décoration actuelle.

Il y a trois tympans (probablement sur quatre), dont deux sont bien exécutés avec une calligraphie bien équilibrée. Le troisième tympan est très proche en style, mais pas du même graveur ; il est également trop petit d’environ 1mm par rapport à la mère (les deux autres tympans étant exactement de la bonne taille).
Les tympans sont établis pour
    34° 40’    Fez
    33° 30’    Marrakesh
    21° 40’    Mecca
    25°    Medina
    35°    Alger
    30°    Misr

Lignes pour le lever et le coucher du soleil, les heures égales, et l’heure de prières ‘asr et zuhr’ sont gravées en-dessous de la ligne d’horizon.

L’alidade, la vis et l’écrou ont été remplacés postérieurement.


Cet astrolabe, malgré ces modifications et ses essais de rénovation est très intéressant et reste jusqu’à aujourd’hui inconnu de l’histoire de l’instrument. Il est d’autre part de très bonne taille. On peut le rapprocher de trois autres astrolabes :
- un par Abu’l Hassan ‘Alî and ‘Abd-allah Muhammad, les frères de Muhammad al-Azidî, daté H950 [1543/44 CE], Gunther i 297. D. 17.5cm.
- un, ni signé ni daté, acquit par la Bibliothèque Bodléien, Oxford, avec la collection de John Selden en 1659. Gunther i 297, D. 19.7cm.
- un, ni signé ni daté, maintenant au Musée de la Marine, Paris, voir Art au Maroc, 418. D. 11.2cm.

Ces trois instruments partagent avec le nôtre le même dessin, assez sobre, de l’araignée et le même mélange d’index en courbes et en crochets. L’astrolabe de Selden et celui du Musée de la Marine ont la barre Est-Ouest rompue, comme le nôtre, et tous les quatre ont des barres courbées montant de chaque extrémité de l’arc équatorial vers l’écliptique pour former des arcs semi-gothiques. L’espacement important entre les deux bras courbés en- dessous de l’arc équatorial, qui forme un ovale avec l’anneau de Capricorne, trouve un parallèle dans l’astrolabe de Selden, comme sur un astrolabe plus ancien, celui de Muhammad ibn Fattuh à Séville H621 [1224/5 CE], qui a les mêmes barres courbées montant de chaque extrémité de l’arc équatorial.
Les quatre instruments ont des trônes semblables, hauts et lobés et il est frappant de voir des cavités pour une aiguille aimantée sur l’astrolabe de Selden et celui des frères.

Les boussoles sont rares parmi les astrolabes arabo-islamiques et celles qu’on trouve datent normalement d’au moins un siècle plus tard. Leur présence dans ce groupe d’instruments, qui se ressemblent, est donc marquante et suggère un lien entre les fabricants des quatre instruments. On peut noter que c’était durant cette même période, au milieu du seizième siècle que les boussoles commencent à apparaître dans les astrolabes européens, en particulier parmi ceux produits à Louvain.

En conclusion, l’instrument que nous présentons ici a une importance historique certaine, s’ajoutant ainsi au petit groupe d’instruments jusqu’alors connu au Maghreb au milieu du XVIe siècle, il est un des très rares instruments incorporant une boussole.

Provenance :
Collection privée depuis plus d’un demi-siècle.

Bibliographie
- Robert T. Gunther, The Astrolabes of the World, 2 vols Oxford 1932
- De divers auteurs, De l’Empire romain aux villes impériales: 6000 ans de l’art au Maroc, Paris 1990